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Intégration commerciale dans l'espace Uemoa: Rodolphe Adjaïgbé analyse les avancées et les défis

Intégration commerciale dans l'espace Uemoa: Rodolphe Adjaïgbé analyse les avancées et les défis

L’intégration commerciale constitue un levier très important pour accélérer la croissance et renforcer la compétitivité des économies africaines. Dans l’espace Uemoa, cette ambition s’est traduite par d’importantes réformes depuis sa création en 1994, allant de l’harmonisation des politiques commerciales à la suppression des barrières tarifaires entre États membres. Malgré ces acquis, la dynamique intégrative reste confrontée à des freins persistants, notamment la persistance de barrières non tarifaires, la faible diversification des économies et les disparités structurelles et politiques qui fragilisent la cohésion régionale. Avec un regard très critique, Sêvi Rodolphe Adjaïgbe, Chercheur en droit, propose une vision plus holistique de la situation en Afrique, notamment dans l'espace Uemoa qui explique cet état de choses. Lisez plutôt. 

B.Y.Y

«L'intégration commerciale dans l'espace UEMOA

Introduction 

L’intégration commerciale apparaît de nos jours comme une manette stratégique pour le développement économique des pays en développement. Dans un contexte de mondialisation marqué par l’accroissement des échanges et la montée en puissance des blocs régionaux, l’intégration est un chemin idéal pour la construction d’une communauté de développement. En Afrique de l’Ouest, l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA), créée le 10 janvier 1994 à Dakar au Sénégal couvre une superficie de 3 512 233 km2 et compte 141,7 millions d’habitants. Elle vise essentiellement l’édification, d’un espace économique harmonisé et intégré, au sein duquel est assurée une totale liberté de circulation des personnes, des capitaux, des biens, des services et des facteurs de production, ainsi que la jouissance effective du droit d’exercice et d’établissement pour les professions libérales, de résidence pour les citoyens sur l’ensemble du territoire communautaire. Autrement, l’UEMOA vise à renforcer la compétitivité de ses États membres à travers une meilleure coordination des politiques économiques et une intensification des échanges intra-régionaux. L’un de ses objectifs majeurs est de favoriser une intégration commerciale harmonieuse entre ses huit pays membres, qui fort heureusement partagent tous une monnaie commune dénommée  «franc CFA».

Cependant, si des progrès notables ont été réalisés en matière d’intégration commerciale, de nombreux obstacles retardent encore l’approfondissement de cette dynamique d’intégration. 

En conséquence, il sied de se demander : dans quelle mesure l’UEMOA a-t-elle réussi à favoriser une véritable intégration commerciale entre ses membres, et quels sont les principaux défis à relever ?

Notre réflexion sur cette interrogation nous conduit en premier lieu à envisager les avancées significatives de l’intégration commerciale dans l’espace UEMOA (I), avant d’analyser les obstacles majeurs qui continuent de freiner l’efficacité intégrative (II).

I. Les avancées notables dans l'intégration commerciale au sein de l'UEMOA. 

L'UEMOA a entrepris depuis sa création plusieurs réformes majeures visant à promouvoir une intégration commerciale plus efficace entre ses États membres. Ces efforts ont permis de poser les bases d’un marché régional plus cohérent et plus fluide.

D’abord, l’un des progrès les plus significatifs réside dans l’harmonisation des politiques commerciales. L’adoption en 2000 du tarif extérieur commun (TEC) a constitué une étape essentielle pour réguler les échanges avec les pays extérieurs à l’Union. Ce tarif commun permet non seulement de protéger les industries locales, mais aussi de simplifier les procédures douanières et de créer un espace économique cohérent. Par ailleurs, l’UEMOA a mis en place un ensemble de règles communes en matière de fiscalité, de douanes et de commerce, ce qui est destiné à faciliter les échanges intra-communautaires et réduit les incertitudes pour les opérateurs économiques.

Ensuite, des mesures concrètes ont été prises pour faciliter la libre circulation des biens et des services au sein de l’espace communautaire. Les droits de douane ont été supprimés sur les produits originaires des États membres, conformément aux principes de la liberté de circulation. De plus, plusieurs programmes d’interconnexion des infrastructures ont été élaborés et mis en œuvre, notamment dans le domaine des transports et des télécommunications, afin de désenclaver certaines régions et d’améliorer la logistique régionale. Le développement de corridors de transport tels que les corridors Abidjan-Ouagadougou-Niamey, et Cotonou-Lomé-Ouagadougou ont ainsi contribué à améliorer la fluidité des échanges entre les États côtiers et ceux de l’hinterland.

Enfin, l’action des institutions régionales a fortement soutenu ce processus d’intégration. La Commission de l’UEMOA, la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et le Parlement de l’UEMOA jouent un rôle important de coordination et de supervision. Elles initient des politiques sectorielles communes, notamment dans les domaines de l’agriculture, de l’énergie ou des transports, qui renforcent la convergence économique entre les États membres. Ces initiatives institutionnelles ont permis de créer un cadre juridique et économique plus stable, propice à l’intégration régionale.

Ainsi, l’UEMOA a posé les bases d’une intégration commerciale crédible et très ambitieuse car ne prenant pas en compte les éventuels égaux de chaque États membre. Subséquemment, ces progrès n’intègrent pas les nombreux obstacles qui freinent l’essor des échanges commerciaux au sein de l’Union.

II. Une intégration commerciale obstruée 

Les avancées réalisées au sein de l’union sont perceptibles. Néanmoins, l’intégration commerciale au sein de l’UEMOA demeure incomplète et confrontée à plusieurs défis structurels, logistiques et même de nature politique qui limitent son plein potentiel.

D’abord, la malheureuse persistance de barrières non tarifaires constitue un frein majeur aux échanges. En dépit de la suppression officielle des droits de douane, les transporteurs et commerçants sont confrontés à de nombreux contrôles routiers, des pratiques de corruption très subtiles et des formalités administratives complexes, surtout aux frontières. Ces obstacles augmentent les coûts de transaction, rallongent les délais de livraison et dissuadent de nombreux opérateurs économiques d’exploiter pleinement le marché régional en construction. En outre, les divergences dans les normes techniques, sanitaires ou de qualité compliquent l’harmonisation des marchés et freinent la libre circulation.

Ensuite, l'intégration commerciale est limitée par la faible diversification des économies des États membres, qui présentent souvent les mêmes structures économiques. En effet, la plupart des États de l’UEMOA restent fortement dépendants des exportations de matières premières (coton, cacao, or, café, soja, karité, cajou, etc.) et possèdent des secteurs industriels peu développés. Cette spécialisation rend les économies peu complémentaires : au lieu d’échanger des biens transformés à forte valeur ajoutée, les échanges intra-régionaux restent limités à quelques produits agricoles ou partiellement manufacturés. Cette situation réduit considérablement l’intérêt commercial du marché régional pour les producteurs locaux.

Enfin, l’UEMOA est confrontée à de profondes disparités économiques et à des défis politiques et sécuritaires, qui entravent la cohésion régionale. Les écarts de développement entre les pays (à titre illustratif, entre la Côte d’Ivoire, et le Niger ou la Guinée-Bissau) compliquent l’application uniforme$ des politiques communes pourtant adoptées. De plus, les instabilités politiques (coups d’État, crises institutionnelles) et l’insécurité grandissante dans le Sahel (liée au terrorisme et aux conflits armés) affaiblissent la coopération régionale et dévient l’attention des dirigeants des États de la dynamique commerciale. Ces tensions géopolitiques fragilisent la confiance nécessaire à une intégration régionale effective et durable.

En somme, bien que des progrès aient été accomplis, l’intégration commerciale dans l’UEMOA reste inachevée et dépend fortement de la capacité des États membres à surmonter ensemble leurs défis internes et communs.

Conclusion

L’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine a incontestablement franchi des étapes importantes dans la construction d’un espace économique intégré, notamment à travers l’harmonisation des politiques commerciales, la suppression des droits de douane intra-régionaux et le renforcement des infrastructures. Ces avancées traduisent une relative volonté politique de favoriser les échanges commerciaux entre les États membres et de construire un marché commun solide.

Cependant, l’intégration commerciale dans l’espace UEMOA reste entravée par des barrières non tarifaires persistantes, une faible diversification économique et des disparités structurelles importantes entre les États membres. À cela s’ajoutent les instabilités politiques et les préoccupations sécuritaires de plus en plus grandissantes qui affaiblissent la cohésion régionale et freinent les efforts d’intégration.

Pour que l’UEMOA puisse atteindre pleinement ses objectifs, il est donc essentiel de renforcer la complémentarité économique, de moderniser (la numérisation commune des formalités dans la sous région et son interopérabilité) les administrations douanières, et d’assurer une meilleure stabilité politique et institutionnelle.

En perspective, la mise en œuvre de l’accord de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) pourrait représenter une opportunité majeure pour l’UEMOA : elle permettrait non seulement d’élargir les débouchés commerciaux, mais aussi de renforcer la dynamique d’intégration régionale en l’inscrivant dans une ambition panafricaine plus vaste.»

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